Academia.eduAcademia.edu
2010 (n°501) LE MONDE DES PLANTES -7- REDÉCOUVERTE DE CREPIDOMANES FRAPPIERI (CORDEM.) J.P. ROUX À LA RÉUNION. Par Yannis ROBERT1, Jean Maurice TAMON2 & Hermann THOMAS3 1 18, rue des Capucines, F-97431 La Plaine des Palmistes, yannis.robert@wanadoo.fr 1, ruelle des Fougères, F-97431 La Plaine des Palmistes 3 Parc National de la Réunion, 165 allée des Spinelles Bellepierre, F-97400 Saint-Denis 2 CADET (1977) définit, à l’île de la Réunion, un étage chaud et sec de basse altitude où se développe une végétation semi-xérophile. Cette zone se caractérise par une grande sécheresse édaphique, par des températures moyennes élevées et par une faible pluviométrie annuelle. FRIEDMANN & CADET (1976), montrent que les espèces végétales présentes sont très bien adaptées, mais la plupart sont rares et menacées de disparition en raison de la fragmentation de leur habitat naturel et de la menace des espèces exotiques envahissantes, localement appelées pestes végétales. Actuellement, à La Réunion, ce milieu ne représente plus que 1% de la végétation naturelle car elle a été, en grande partie, défrichée pour laisser place aux cultures, comme le café au XVIIIème. Au XXème siècle, l’essor démographique et l’extension exponentielle des plantes introduites ont accéléré la fragmentation, voire la disparition de cet écosystème originel. Les reliquats se situent essentiellement sur la partie basse, entre 150 et 800 mètres d’altitude sur le versant ouest de l’île, ou alors dans les cirques, sur des crêtes escarpées ou des falaises abruptes. Cilaos et Mafate présentent de nombreux secteurs secs et, bien que Salazie, le plus oriental des trois cirques, soit le plus arrosé, les conditions édaphiques permettent le développement d’une végétation semi-xérophile. En effet, les sols qui se développent sur des alluvions anciennes très perméables, ne retiennent pas l’eau qui tombe en relative abondance. C’est dans cette végétation menacée à l'échelle de l'île, qui abrite de nombreuses espèces protégées, que nous avons retrouvé trois stations de Crepidomanes frappieri, au cours de l’année 2009. Cette espèce, considérée comme disparue, n’a plus été récoltée à la Réunion depuis 1891. Une citation du Conservatoire botanique national de Mascarin (HIVERT & al., 2009), correspond d’après nos observations in situ, d’après les coordonnées des stations, à Crepidomanes inopinatum (Pic. Serm.) J.P. Roux. Nomenclature et description Dans le volume de la Flore des Mascareignes, traitant des Ptéridophytes, la famille des Hymenophyllaceae (TARDIEUBLOT, 2008), comporte 23 espèces réparties en deux genres classiques Trichomanes L. et Hymenophyllum Sm. Des travaux récents en phylogénétique, EBIHARA & al. (2006), ont permis de découper le genre Trichomanes en six genres, Didymoglossum Desv., Crepidomanes (C. Presl.) C. Presl., Polyphlebium Copel., Vandenboschia Copel., Abrodictyum C. Presl., Trichomanes L., qui eux-mêmes sont divisés en sous-genres et en sections. A l’opposé des auteurs de la Flore des Mascareignes, nous avons décidé de tenir compte des derniers travaux et d’utiliser le binôme suivant : Crepidomanes frappieri (Cordem.) J.P. Roux, Conspect. South. Afr. Pteridophyta (2001) Basionyme : Trichomanes frappieri Cordem., Bull. Soc. Sci. île Réunion 1890-1891 : 143 (1891) ; Type : La Réunion, Brûlé de Saint-Denis, Bédier s.n. (P, néo. !) Rhizome filiforme, longuement rampant, couvert de poils brun noir qui peuvent être ramifiés. Pétiole ailé dans sa partie supérieure, couvert de poils épars, claviformes. Limbe généralement bipinnatifide à tripinnatifide, à contour ovale, glabre ; présence de plis longitudinaux, sur le sec, simulant des fausses nervures. Sores inclus, à involucre tubulé, bilabié, à valves arrondies-tronquées et à réceptacle exsert. Figure 1 : Population de Crepidomanes frappieri sur la base d’un tronc exposé. Sur le sec, cette espèce est très proche de C. inopinatum et sur le terrain, son port rappelle celui d’une autre Hymenophyllaceae, Hymenophyllum polyanthos (Sw.) Sw. Pour éviter toute confusion, la principale caractéristique qui permet de différencier C. frappieri et C. inopinatum est, d’après Kornas (1994), la présence de poils bruns ramifiés sur le rhizome. La présence de sores permet de séparer rapidement H. polyanthos de C. frappieri car la première espèce présente une involucre bivalve et son réceptacle n’est pas exsert alors que l’autre possède une involucre tubulée et un réceptacle exsert. La première station retrouvée se situe sur les berges de la rivière du Mât, à environ 150 mètres d’altitude, dans une zone très anthropisée, où se développent de nombreuses pestes végétales. C’est sur un gros rocher, exposé au soleil, que cette première récolte a été réalisée. La deuxième est localisée dans le cirque de Salazie, sur les bords de la mare à Poule d’Eau, à environ 650 mètres d’altitude, toujours épilithe et exposé au soleil, dans une végétation très remaniée par l’homme. Enfin, la troisième se trouve dans un reste de végétation semi-xérophile, très dégradée par la présence de plantes envahissantes, à environ 630 mètres d’altitude, sur la base d’un tronc exposé au soleil. Ces trois nouvelles stations sont donc situées dans des zones de végétation secondaire, colonisées par des espèces exotiques qui menacent la pérennité de cette espèce rarissime dans l’île. En conclusion, il importe donc que des mesures soient mises en œuvre pour la conservation de ces populations et que les botanistes de terrain poursuivent leurs investigations afin -8- LE MONDE DES PLANTES d’en repérer de nouvelles. La protection de ce taxon s’impose car il se situe dans des habitats où l’impact de l’homme est important avec une végétation souvent envahie par des plantes exotiques dont la progression doit être limitée. De plus, les trois stations connues ne comportent chacune qu’une petite population, restreinte à un ou deux rochers ou à la base d’un tronc d’arbre. Ce qui en fait un des taxons de fougères les plus rares de la Réunion. Liste des exsiccatas : La Réunion, Bras Panon, berges de la rivière du Mât, 16/06/2009, Robert 1290, (in herb. privé Yannis Robert) ; La Réunion, Salazie, mare à Poule d’Eau, 06/08/2009, Robert 1316, (in herb. Privé Yannis ROBERT). ; La Réunion, Saint-Louis, les Canaux, 09/09/2009, Tamon 456, (in herb. privé Jean Maurice TAMON) Matériels observés : Bédier 1891, s.n., Brûlé de SaintDenis (P) ; Remerciements Nous remercions Serge MULLER pour toute son aide, Annick Robert pour la relecture et les corrections. Bibliographie CADET T., 1977. La végétation de l'île de La Réunion : Etude phytoécologique et phytosociologique. Thèse, Université d'Aix Marseille III, 312 p. EBIHARA A., DUBUISSON J.Y. & IWATSUKI K. 2006., A taxonomic revision of Hymenophyllaceae. Blumea, 51 : 221-280. FRIEDMANN F. & CADET T., 1976. Observation sur l'hétérophyllie dans les îles Mascareignes. Adansonia, sér.2, 15 : 423-440. HIVERT J., LACOSTE M. & PICOT F., 2009. Actions de connaissance sur la flore et la végétation dans le cadre des mesures compensatoires au projet Tram-train (Massif de La Montagne-Île de La Réunion). Conservatoire botanique national de Mascarin Vol. 1, Rapport et annexes, 196 p., Vol. 2, Atlas cartographique, 180 p.: JACOB DE CORDEMOY E., 1895. Flore de l’île de La Réunion, librairie des Sciences naturelles, Paris. Réédition 1972, J. CramerLehre (Cryptogames vasculaires, 34-113). KORNAS J., 1994. Filmy Ferns (Hymenophyllaceae) of Central Africa (Zaire, Rwanda, Burundi). 2. Trichomanes (excl. subgen. Microgonium), Fragm. Flor. Geobot. 39 : 33-75. TARDIEU-BLOT M.-L., 2008. Hyménophyllacées. In : AUTREY J.C., BOSSER J. & FERGUSON I.K.. (Dir.), Flore des Mascareignes : La Réunion, Maurice, Rodrigues. Ptéridophytes. 1. Psilotacées à 26. Marsiléacées. Institut de Recherche pour le Développement, Paris, Mauritius Sugar Industry Research Institute, Ile Maurice, The Royal Botanic Gardens, Kew, pp. 71-90. 2010 (n°501)